Un peu plus d’un an après les mouvements #metoo et #balancetonporc, et 2 ans après l’application de la loi Copé – Zimmermann auprès des grandes entreprises, l’année 2018 était particulièrement attendue en termes d’égalité femmes – hommes. Toutefois, si les avancées sont réelles – le nombre de femmes créatrices d’entreprise a progressé de plus de 50 % au cours des dernières années –, les inégalités persistent en défaveur des femmes. Françoise Le Rest et Isabelle Gueguen, cofondatrices de Perfégal, cabinet de conseil dans le domaine de l’égalité & la mixité professionnelle et de l’intégration de l’égalité femmes / hommes dans les politiques publiques et les projets, font le point et tentent de répondre à cette question : quelles perspectives pour l’égalité professionnelle en 2019 ?
Quel bilan peut-on dresser de l’égalité professionnelle en France en 2018 ?
Ces dernières années ont marqué de nombreuses évolutions mais à modérer selon la taille des entreprises. Les grandes entreprises ont été les premières à se saisir du sujet et à établir des accords qui, très souvent, restaient de simples effets de communication. Mais depuis 3 ans, elles se tournent davantage vers les actions concrètes et n’hésitent plus à former les responsables RH sur le sujet.
En revanche, pour les PME, la question de l’égalité est très longtemps restée un non-sujet par méconnaissance et par manque de temps de la part des services RH concentrés sur les « tâches » classiques et les obligations légales. Difficile parfois de comprendre les enjeux de l’égalité lorsque l’on évolue dans un secteur « naturellement » très féminin ou fortement masculin. Mais aujourd’hui, la législation s’est renforcée et la crainte de la pénalité financière et de la mise en demeure change la donne. Néanmoins, la question reste perçue comme une contrainte législative et non comme un levier de performances. Dès lors que l’on explique aux dirigeants des PME l’intérêt d’intégrer l’égalité dans leur stratégie, le sujet est d’emblée mieux perçu.
La situation est-elle vraiment meilleure ailleurs ?
Pas forcément car, sur en matière d’égalité professionnelle, la France reste un des leaders parmi les pays ayant un taux d’activité élevé associé à un taux de natalité important. C’est un point vraiment différentiant et très positif qu’il faut entretenir. Si les pays scandinaves sont en effet plus avancés en termes de télétravail, d’acceptation des enfants au travail et représentativité des femmes dans les postes à haut potentiel, la situation n’est pas forcément meilleure dans le reste de l’Europe.
Quels principaux freins observez-vous aujourd’hui encore pour parvenir à l’égalité ?
Le plus important est étroitement lié aux préjugés, à commencer par les femmes elles-mêmes et leur tendance à une certaine forme d’autocensure : elles sont encore nombreuses à identifier les postes à responsabilités comme un obstacle à leur vie privée. Un frein souvent inconscient mais qui peut les amener à se percevoir comme « moins disponibles ». Un a priori renforcé par certaines femmes politiques ou dirigeantes qui semblent avoir privilégié leur carrière à leur vie de famille. En conséquence, d’autres femmes refuseront alors de s’identifier à ces modèles de peur de reproduire les mêmes comportements. Sans oublier que les hommes occupant la plupart des postes de décision ont également plus tendance à se « coopter » entre eux. Enfin, la maternité peut également, dans certains cas, ralentir les évolutions, soit du fait des managers, soit des femmes.
En ce sens, le principal frein est donc principalement lié aux stéréotypes de genre. Le poids des préjugés et de la culture est particulièrement lourd. C’est pourquoi diffuser cette culture en interne est clé pour tendre vers l’égalité. Si on n’explique pas pourquoi on privilégie les candidatures féminines, cela peut être mal perçu en interne.
Que doit-on modifier en 2019 pour tendre davantage vers l’égalité ?
Aujourd’hui, le point clé concerne la prise en compte de la parentalité dans le salariat et non plus de la simple maternité. Il faut amener les entreprises, notamment les PME, à penser à de nouveaux modes d’organisation du temps du travail en sortant de leur culture du présentéisme et en étant plus orientées sur l’efficience. Vouloir s’occuper des enfants n’est plus une demande exclusivement féminine. Sans oublier les collaborateurs plus seniors, le plus souvent des femmes, qui sont de plus en plus amenés à s’occuper de leurs ascendants. Résultat, les grands groupes signent tous des accords de télétravail. Aux PME de leur emboîter le pas ! Manager à distance va modifier le management mais aussi les mentalités. Donc les PME doivent anticiper ces demandes et se montrer proactives en la matière pour attirer les jeunes talents.
Quelles perspectives alors en 2019 ?
La question de la rémunération sera l’axe fort de 2019. Mais attention : tant que l’on ne travaillera pas sur la classification des métiers, réduire les écarts sera difficile voire impossible. Il est donc nécessaire de valoriser en priorité les métiers occupés par les femmes car ils sont moins rémunérateurs. La raison ? Ils sont « pensés » comme des métiers liés à des compétences qui seraient naturelles chez les femmes et non apprises, non techniques. Elles auraient donc moins de « mérite ».
À poste égal, on aura de moins en moins d’écart en effet mais de manière intrinsèque, la réalité sera autre. Il faut donc travailler sur la classification et la mixité des métiers pour ne plus avoir de fonctions fortement féminines et moins rémunératrices, d’autant que les fonctions mal payées attirent peu, donc difficile de recruter des hommes mais aussi de plus en plus des femmes qui souhaitent avoir une possible évolution.
Quels chiffres réels en matière d’écarts de salaire ?
25 % d’écart salarial à fonction égale et tout temps de travail confondu ! Voilà le chiffre que l’on voit régulièrement circuler sur le web lorsque l’on aborde le sujet. Toutefois, difficile de faire la part des choses tant les études varient sur ce point. Pourquoi ? D’une part, parce que le mode de calcul peut lui aussi différer – certaines prennent en compte le salaire brut, d’autres le salaire net –, et d’autre part, parce que l’on confond souvent salaire et rémunération.
« Plusieurs variables justifient les écarts de salaires : selon la taille de l’entreprise, les statuts socio-professionnels… Mais il y a toujours un delta qui varie entre 9 et 10 % que l’on n’explique pas. De même, il est important de parler en termes de rémunération et non de salaires. Dès lors que l’on inclut les primes, les écarts se creusent. »
Quels leviers les entreprises peuvent-elles activer pour tendre davantage vers l’égalité ?
La 1re action est de faire un diagnostic autour d’indicateurs précis :
- Les femmes sont-elles plus en CDD ou à temps partiel ?
- Les femmes et les hommes vont-ils autant en formation ?
- Ont-elles accès au même type de formation ?
- Ont-elles le même accès à la promotion… ?
L’objectif d’un tel diagnostic est d’analyser les points faibles pour, ensuite, mettre en place les actions correctives. Par exemple, si on observe qu’il y a peu de femmes à des postes à responsabilités, il est nécessaire alors d’identifier quelles sont les fonctions les plus à même de favoriser les évolutions, d’analyser la situation parentale, d’étudier les temps partiels… Trop souvent encore, on réduit l’égalité aux écarts de salaire or ce n’est qu’une conséquence des inégalités en amont.
Les femmes sont plus sur des fonctions transverses et occupent en effet moins de postes en lien avec le cœur de métier de l’entreprise (Responsable de production, de site,…) qui sont pourtant les plus porteurs en termes de carrière et donc de rémunération.
Et dans les collectivités et les établissements publics ?
Ils sont aussi depuis peu obligés d’établir un rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes. Désormais, ils devront donc établir un plan d’action en faveur de l’égalité, ce qui va faire évoluer la situation. Le contexte sur l’égalité professionnelle se renforce donc aussi au sein de ces structures.
Comment les accompagnez-vous dans leur démarche ?
La loi oblige à traiter 3 ou 4 critères liés à l’égalité parmi les 9 existant selon la taille de l’entreprise, dont obligatoirement celui de la rémunération. Nous aidons donc les entreprises de moins de 300 salarié-e-s à bien choisir les autres domaines d’intervention selon leur situation et les résultats du diagnostic. Nous mettons en avant le fait que l’égalité est un levier stratégique et non une contrainte.
Dans le cadre d’une démarche proactive de recrutement de femmes par exemple, nous les amenons à se rapprocher des écoles, à se rendre sur les forums, à développer une politique d’accueil de stagiaires tout particulièrement dans les métiers non mixtes… L’égalité est une véritable source d’innovation qui va augmenter la rentabilité et la productivité de l’entreprise.
Quelle est la clé de l’égalité professionnelle selon vous ?
Le message le plus important est d’intéresser les entreprises au sujet et de les inciter à agir en termes de stratégie dans une logique gagnant-gagnant. La vraie victoire commence dès lors qu’ils comprennent l’intérêt et l’importance de l’égalité. Aujourd’hui, on a tendance à n’aborder la question que sous l’angle du sexisme du fait de l’actualité ou de la rémunération alors que le sujet est tellement vaste. Donc attention à ne pas être trop réducteur.
Il y a une vraie volonté de former aux enjeux de l’égalité mais plus par peur que par intérêt véritable. Le risque est que le harcèlement ou le sexisme soit prioritaire. Il faut donc plus de dialogue social sur le sujet. C’est pourquoi nous travaillons aussi beaucoup avec les partenaires sociaux, les comités d’entreprise, les commissions égalité… qui s’emparent du sujet mais ont souvent besoin de formation pour être force de propositions.
À la découverte de Perfegal
Françoise Le Rest et Isabelle Gueguen se sont rencontrées alors qu’elles travaillaient sur le projet européen Equal. De là est née l’idée de créer un cabinet dédié à l’égalité professionnelle, l’un des tout premiers à travailler sur le sujet en France: Perfégal. Désormais, elles interviennent dans toute la France sur 3 domaines : le conseil, la formation et l’étude / diagnostic.
Perfégal a ainsi développé son propre outil numérique de diagnostic : Éganum. Il permet aux PME notamment de, rapidement, réaliser un diagnostic et de choisir quels domaines d’action traiter en priorité.
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